L’éco-responsabilité du graphisme
Nous sommes dans une société de surconsommation dans laquelle les objets numériques prennent une part prépondérante dans notre société hyperconnectée.
introduction
D’après le groupe d’experts The Shift Project, en 2017, la consommation mondiale énergétique du numérique représenterait 3,3 % de la consommation mondiale totale d’énergie en 2020. L’évolution des émissions de gaz à effet de serre (GES) suit cette tendance: 2,5 % du total des émissions mondiales en 2013, 3,7 % en 2017. Ces évolutions s’expliquent principalement par l’essor du smartphone et l’explosion du trafic de données, du nombre de données qu’il faut de plus stocker et des datacenters.
D’après l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), 25 % des émissions de GES générées par le numérique sont dues aux datacenters, 28 % aux infrastructures réseau et 47 % aux équipements des consommateurs. La phase de fabrication des équipements reste par ailleurs la plus consommatrice d’énergie et la plus émettrice de GES(1).
Les techniques marketing et publicitaires sont mises en œuvre pour pousser les utilisateurs et utilisatrices à acheter au-delà de leurs besoins. De fait, toutes les mesures sont prises pour que le désir de consommer l’emporte sur toute considération morale ou éthique.
Le ou la graphiste numérique pourrait donc questionner ses pratiques afin de réduire au maximum les empreintes carbones induites par son activité et de fait, inciter le plus de monde à faire de même.
1 Statistiques Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), L’économie et la société à l’ère du numérique, édition 2019, paru Novembre 2019.


1 surconsommation et pollution
2 infobésité ou surplus d’informations
…
problématique
Pour quelles raisons le.la graphiste devrait-iel avoir une pratique écologiquement vertueuse de son métier numérique ?
Comment le travail du.de la graphiste peut-il permettre d’éveiller les consciences quant aux problèmes écologiques?
1. le rôle du.de la graphiste dans une société de surconsommation
L'émergence de l’écologie et la remise en question du système
Répandu surtout dans la seconde moitié du XXe siècle le concept de « société de consommation » renvoie à l'idée d'un système économique et social fondé sur la création et la stimulation systématique d'un désir de profiter de biens de consommation et de services dans des proportions toujours plus importantes(2).
Nous faisons face aujourd’hui à la consommation de masse engendrant de surcroît pollution, infobésité(3) et pollution visuelle.
C’est ainsi que parallèlement à ce phénomène, une idéologie d’une nouvelle société prend forme.
Le terme « écologie(4) » fait irruption dans les années 1970 face à l’engouement de la surconsommation quotidienne de chacun. Elle donne lieu à une nouvelle forme de demande sociale qui ne cesse de s’amplifier. La question environnementale devient progressivement une question centrale dans la politique mais aussi dans le domaine du design et par extension du design graphique.
Quel est le rôle du designer face aux enjeux écologiques?
Le design est une conséquence de l'ère industrielle. Cette pratique cherchait à améliorer le mode de vie et le confort de tous. Le design graphique, quant à lui, est aliéné au service de la société de consommation puisqu’il répond à l’injonction de nouveauté sans penser à l’engagement moral qui s'ensuit. Le.a designer.reuse graphique est contraint.e, dans l’idée de dictat marketing, de produire des artefacts visuels qui n’agissent pas sur la fonction d’usage des objets
Le design est cependant défini, par l’Agence Française des Designers (AFD), comme étant un « processus intellectuel créatif, pluridisciplinaire et humaniste, dont le but est de traiter et d’apporter des solutions aux problématiques de tous les jours, petites et grandes, liées aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux ».
Selon Annick Lantenois, le design graphique est quant à lui défini comme « le traitement formel des informations et des savoirs. Le.a designer.euse graphique est alors un.e médiateur.rice qui agit sur les conditions de réception, d’appropriation des informations et des savoirs qu’iel met en forme ». Ce métier pourrait donc être l’intermédiaire entre consommation et écologie jusqu’à contribuer à changer nos modes de vie.
Quelle est la responsabilité du graphiste?
Il est du devoir de chacun de veiller à ses faits et gestes afin de modifier les schémas de consommation.
Les graphistes sont les principaux intermédiaires de promotions d’idées et de messages. Il est impératif, selon Philipp B. Meggs, de contribuer « de façon significative à une compréhension globale des questions environnementales et sociales »(5). C’est dans ce sens que les actions du designeur.euse graphique doivent être remises en cause et engendrent en conséquence un requestionnement même du fonctionnement de notre société de consommation.
La question fondamentale ne doit pas être « comment satisfaire tel ou tel besoin de manière plus écologique », mais « pourrait-on bien vivre sans ce besoin? »(6). Ainsi, la nécessité de repenser l’entièreté du cycle de vie du produit - incluant l’identification du besoin puis la fabrication, l’utilisation, l'obsolescence et le recyclage - est remise en avant.
Le design est d’une part un métier artistique mais est aussi - et surtout - un métier de service dont la responsabilité sociale et éthique sont centrales.
2 La remise en cause de notre système économique n’est pas nouvelle, en 1971, Victor Papanek évoquait que «le design publicitaire persuade les gens d’acheter des choses dont ils n’ont pas besoin, avec de l’argent qu’ils n’ont pas, afin d’impressionner ceux qui s’en fichent ».
3 Surabondance d’informations imputée aux chaînes d’information en continu, aux nouvelles technologies de la communication (Internet, téléphones portables, messageries, réseaux sociaux) et à la dépendance qu’elles créent chez l’utilisateur, définition provenant du Larousse.
4 Nous prenons en compte, ici, l’émergence de ce terme dans les écrits européens.
5 Baxter Meggs Philip, A History Of Graphic Design, cité dans Étapes, n°243, 2018, p. 119.
6 Extrait du livre de Bihouix Philippe, «(4/7) Solutions à portée de la main: simplifions l’existence », dans L’Âge des low-tech, Biosphère, [https://biosphere.ouvaton.org/bibliotheque-2014-et/2720-2014-l- age-des-low-tech-philippe-bihouix].
2. comment le.a designer peut-iel influencer le prospect?
Comment le travail du graphiste pourrait amener les prospects à prendre conscience des enjeux écologiques?
Comment animer un intérêt du prospect envers l’écologie? Quelle latitude le.a graphiste digital a-t-iel pour pratiquer un graphisme écologique? Quelles sont ses marges de manœuvres?
Avoir une pensée écologique est parfois perçu comme extrémiste pour certains. Il faudrait que ces questionnements soient accessibles à tout le monde ce qui permettrait, éventuellement, de changer la perception globale de l’écologie.
Beaucoup de campagnes publicitaires pour le respect de la nature ont pour but d’être marquantes. Mais cette forme de communication n’a pas encore fait vraiment bouger les choses. Même si le public ciblé devient peu à peu réceptif aux problématiques écologiques, celui-ci a encore du mal à devenir acteur et impliqué au quotidien.
Nous pourrions inverser l’intention en elle-même. Soit en touchant directement le prospect par le côté ludique ou par la lucrativité même d’une campagne. Cette première intention pourrait inclure des applications intuitives et informatives sur le poids des données utilisées quotidiennement, ayant pour principal but de signaler l’impact de nos actions. Le deuxième principe est déjà développé dans le marketing à savoir impliquer le prospect dans un circuit vertueux(7).
Mais avant même de considérer ce que son travail peut avoir comme influence sur le prospect, il serait important de séparer les actions du.de la graphiste de son.sa commanditaire. Le.a graphiste peut choisir ou se renseigner sur les valeurs de ses clients ou simplement rajouter une plus value écologique à ses projets tout en évitant de faire du greenwashing(8).
7 Par exemple, l’application Vinted est sous forme de ‘gagnant gagnant’. Le vendeur gagne de l’argent tout en upcyclant ses vêtements.
8 ou écoblanchiment en français, décrivant une utilisation fallacieuse d’arguments faisant état de bonnes pratiques écologiques dans des opérations de marketing ou de communication, définition Larousse.
Quelles pourraient être les actions du graphiste?
Hors du message, le.a designer doit remettre en cause l’objet graphique. Quelles pourraient-être les pratiques invisibles du design graphique écologique?
L’idée de repenser nos objets permettrait alors d’agir pour la société (et pas seulement par but lucratif ou consommiste). Le.a graphiste serait l’initiateur d’une démarche. Lorsque nous évoquons le terme d’éco conception(9) dans le champ du graphisme, nous pensons directement à l’impact environnemental résultant des supports imprimés, or la pollution des supports numériques est autant voir plus importante que la précédente. Plusieurs pratiques peuvent être promues afin de réduire le coût énergétique numérique comme de consacrer des hébergeurs écologiques et/ou locaux, inciter les utilisateurs.rices d’interfaces à modifier quelques gestes quotidiens tels que se mettre en mode économie d’énergie, passer leurs objets digitaux en mode sombre, effacer les données non utilisées, compresser ses fichiers… De la même manière, aujourd’hui le mouvement d’éco branding(10) permet de penser chaque élément graphique dans le but de limiter la quantité d’encre, le nombre de pages imprimées ou encore le poids des fichiers numériques.
Pour comprendre les valeurs de chaque action, il serait intéressant d’intégrer aux interfaces quelques chiffres afin de comparer les taux de pollution et ce qu’on a à y gagner.
9 L’écoconception vise, dès la conception d’un procédé, d’un bien ou d’un service, à prendre en compte l’ensemble du cycle de vie en minimisant les impacts environnementaux, selon l’ADEME (Agence de la transition écologique), [https://www.ademe. fr/expertises/economie-circulaire].
10 Initié par Sylvain Boyer, l’éco branding est un dérivé de l’éco conception appliquée à l’image d’une marque tout en étant un principe global. Ce principe est prometteur et se développe encore aujourd’hui, dans le but de pouvoir réduire considérablement nos impacts au devenir.
3. repenser le mode de fonctionnement du.de la graphiste
Une question de fond
Est-ce que toute publicité est légitime ? Est-ce que tous les messages se valent ? Serait-il possible de mettre intégralement de côté notre système de consommation pour une communication durable?
Comme l’évoque le manifeste First Things First 2020(11), les designers ont soutenu
« un environnement tellement saturé de messages commerciaux qui change la façon dont les citoyens-consommateurs parlent, pensent, ressentent, réagissent et interagissent ». L’intégralité de la légitimité de la publicité peut ainsi être remise en question. La conception graphique a contribué à construire « un code de discours public réducteur et incommensurablement nocif » que les designers devraient aider à remettre en cause.
Il est important d’interroger les besoins de la communication visuelle. Est-ce que créer une publicité ayant pour seul but d’inciter à la consommation est vraiment nécessaire?
Le manifeste de la SDGQ(12) remarque que « le bon design graphique est responsable […] Il doit limiter au maximum notre impact sur la planète, en se questionnant sur le bien-fondé de chacun de ses gestes ».
11 Poynor Rick, «The Evolving Legacy of Ken Garland’s First Things First Manifesto», Eyeondesign, publié en Août 2001, [https://eyeondesign. aiga.org] / traduit de l’anglais avec le traducteur du Larousse.
11 Poynor Rick, «The Evolving Legacy of Ken Garland’s First Things First Manifesto», Eyeondesign, publié en Août 2001, [https://eyeondesign. aiga.org] / traduit de l’anglais avec le traducteur du Larousse.
12 Société des Designers Graphiques du Québec.
Quelles pourraient être les approches éco-responsables du graphiste ?
Quelle serait l’approche la plus écologique ? Quels moyens, outils, pourraient être utilisés par le graphiste afin de créer des objets durables ?
Faire moins et plus durable, serait forcément tourner le dos à l’innovation perpétuelle et à une certaine recherche d’avoir plus. Nous devrions donc, dans un premier temps, nous questionner sur « comment satisfaire tel ou tel besoin de manière plus écologique ».
Sylvain Boyer étaye ainsi cette idée en interprétant la célèbre citation « Less is more » de Ludwig Mies van der Rohe en « Low is more ». Le terme « Low » peut se définir par le faible impact en carbone du principe d’éco branding ainsi qu’à la réduction globale de la consommation d’énergie.
La pensée de Philippe Bihouix(13), quant à lui, tend à réduire notre consommation en utilisant des low-tech(14). Et de ce fait, réduire drastiquement la dépense énergétique des produits numériques.
13 Extrait du livre de Bihouix Philippe, « (4/7) Solutions à portée de la main », dans L’Âge des low-tech, Biosphère, [http://biosphere.ouvaton.org/bibliotheque-2014-et/2720- 2014-l-age-des-low-tech-philippe-bihouix].
14 Anglicisme des termes «basses technologies » désignant le fait de réduire tout en conservant un niveau de confort matériel et de civilisation agréables tout en évitant les chocs des pénuries à venir.
Tendons-nous vers un graphisme plus neutre
À vouloir en faire moins, est-ce qu’on altérera ainsi de trop le travail du graphiste ?
Quelles sont les limites à cette idée d’éco-responsabilité ?
Est ce que l’UI design subira les choix pour sobriété énergétique ?
Est-ce que ‘bannir’ le plus de produits graphiques laissera tout de même place au graphisme ? Est-ce que le.a designer.euse devra choisir entre son intention écologique au détriment de l’objet graphique et de son autonomie d’artiste auteur?
Tendre vers une sobriété énergétique est pour le bien commun, il est intéressant de penser l’appréhension de l’utilisateur.rice, sa navigation et son regard.
Déjà en 2008, l’ouvrage Green graphic design considérait que « les idées qui relèvent de “l’ère de la soutenabilité” transformeront notre industrie [du design graphique] ». L’auteur affirmait en conclusion que « les designers graphiques ont un rôle essentiel à jouer dans la transformation plus vaste vers des économies soutenables(15) ».
15 Jubert Roxane, «La communication visuelle et graphique à l’aune des défis environnementaux : des priorités à redéfinir », dans Sciences du Design, Cairn.info, [https://www. cairn.info/revue-sciences-du-design- 2019-2-page-68.htm], p. 183.
bibliographie
de Jarcy Xavier, « Le design numérique au
défi de l’éthique », Le design peut-il changer le monde, Télérama hors-série, Février 2021,
p. 68-73.
Jubert Roxane, « Graphisme et écoconception, vers une perspective soutenable »,
Étapes : 243, p.119-174.
sitographie
ADEME, « Économie circulaire », ADEME (Agence de la transition écologique) [en ligne]. https://www.ademe.fr/expertises/economie- circulaire.
Bihouix Philippe, « (4/7) Solutions à portée de la main », Année 2014 et plus, extraits de L’Âge des low-tech, Biosphère, http://biosphere.ouvaton. org/bibliotheque-2014-et/2720-2014-l-age-des-low-tech-philippe-bihouix.
Boyer Sylvain, écobranding, [en ligne]. https://ecobranding-design.com.
Denis Jérôme et Pontille David , « Écologie graphique et signalétique urbaine », CNAP [en ligne]. https://www.cnap.fr/ecologie-graphique-et-signaletique-urbaine.
Designers éthiques, Designers éthiques [en ligne], https : //designersethiques.org.
Petit Victor, « L’éco-design : design de l’environnement ou design du milieu? », dans Sciences du Design 2015 n° 2, pages 31 à 39, Cairn.info, [en ligne]. https://www.cairn.info/ revue-sciences-du-design-2015-2-page-31.htm.
Poynor Rick, «The Evolving Legacy of Ken Garland’s First Things First Manifesto », Eyeondesign, [en ligne].
https://eyeondesign. aiga.org.
Usabilis, « Design éthique ou quelle est la responsabilité du designer? », Usabilis, [en ligne].
https://www.usabilis.com/design- ethique/.
article
conclusion